Galériens

Le site galfor recense les bagnards originaires du nord-ouest de la France. Dans cette liste, nous trouvons deux personnes originaires de Bouaye: Armel FERRE et Martin SORIN qui ont été condamnés en 1824 selon ce site. Essayons d’en savoir un peu plus…


Martin SORIN et Armel FERRE

Martin Sorin est né à Bouaye le 6 mars 1783. Il est le fils de Pierre Sorin, originaire de Saint Philbert de Grandlieu et de Marie Beziau. Son père décède à Bouaye le 29 floréal an IX et sa mère décède le 30 novembre 1808.
Martin Sorin s’est marié à Bouaye le 25 novembre 1806 avec Anne Françoise Fruneau.

Il est décrit comme faisant 1m70, cheveux et sourcils grisonnants, yeux bleus, front couvert, nez pointu, bouche moyenne, menton rond, visage plein, teint coloré et marqué par la petite vérole.

Armel Ferré est également né à Bouaye le 4 mars 1784. Il est le fils de Hermel Ferré, batelier et Antoinette Jousse. Son frère jumeau décédera le lendemain de sa naissance. Sur l’acte de naissance, Armel est nommé Hermel comme son père.
Armel Ferré se marie avec Jeanne (ou Anne) Chesneau à Bouaye le 9 février 1808. Sur l’acte de mariage, il est noté que la mère de Jeanne est morte pendant la guerre de Vendée « au mois de mars 1794 comme il est constaté par l’acte de notoriété délivré par le sieur Texier juge de paix […]. Ce décès est de plus attesté par les quatre témoins au présent acte« .
En 1821 les époux Ferré habitent à la Lézinière à Bouaye.

Le vol

Dans la nuit du 20 au 21 mai 1821, la maison de Louise Jamet, veuve de Toussaint Lucas, âgée de 68 ans et demeurant à la Roderie à Bouaye, est cambriolée.
Elle vient donc déclarer ce vol à Monsieur de Biré, maire de Bouaye, qui indique que « des malfaiteurs se sont introduits dans sa maison et lui ont volé neuf draps de lits, une couverture, dix chemises, une jupe, un tablier, trois mouchoirs, une coëtte de mousseline, deux autres coëttes, un bonet de coton, une serviette neuve à raie rouge et différents morceaux ou coupons d’étoffe, enfin des balances avec leurs poids et généralement tous les objets de son commerce […] que ce vol a eu lieu avec effraction« .

Le lendemain, de Biré se rend « chez un nommé Armel Ferré, assez mauvais sujet […] afin de chercher quelques traces de ce vol: ce Ferré se serait rendu dimanche matin chez Louise Jamet, qui lui avait annoncé son départ, et lui faisant aussi connaître qu’elle ne serait de retour que quelques jours après. Mais quelques soupçons que l’on m’ait dit avoir sur cette homme, […] je ne me suis pas cru suffisamment autorisé à faire des démarches« .

Au mois d’octobre 1821, plusieurs témoins viennent témoigner qu’en travaillant chez Martin Sorin, ils ont confectionné des culottes à partir de tissus qui leur semblait d’origine douteuse. De Biré écrit donc une lettre au procureur du Roi pour préciser que « la mauvaise réputation de Martin Sorin et les différents vols qu’il a déjà faits et les preuves qui me semblent assez fortes, qu’il est l’auteur ou l’un des auteurs du vol. […] Je me suis en conséquence fait accompagner par un gendarme chez Martin Sorin« . Les époux Sorin affirment alors qu’ils ont acheté les tissus à Nantes « sans toutefois nommer en connaître la marchande« .
Dès le lendemain, la femme Sorin vient voir de Biré pour lui avouer que le tissu avait été en fait « donné en payement pour travail à Martin Sorin par Armel Ferré« . Elle remet également à de Biré de la dentelle « que son mari la tenait encore d’Armel Ferré qui prétendait l’avoir trouvé en revenant de Nantes« .

Une première arrestation

Un mandat d’amener est établi contre Martin Sorin et Armel Ferré le 11 octobre 1821. Armel Ferré est arrêté le 19 octobre et écroué à la maison d’arrêt du Bouffay. Par contre, Martin Sorin n’est pas là quand les gendarmes viennent chez lui le 16 octobre et sa femme ne sait pas où il est depuis plusieurs jours.

Armel Ferré est interrogé dès le 20 octobre. Il répond qu’il « va nous dire toute la vérité, parce qu’il n’a aucune sorte d’intérêt à la dissimuler et que c’est au contraire en la disant qu’il peut se justifier de l’injuste soupçon auquel il est exposé« . Ferré explique qu’en rentrant chez lui il a croisé Martin Sorin armé d’un fusil. Ce dernier « lui répondit qu’il se f… des gendarmes comme de lui ; que le dit Sorin lui demanda à son tour d’où il venait de si grand matin, et que sur ce qu’il lui répondit qu’il venait d’acheter du tabac […] chez la bonne femme Lucas de la Roderie ; que Sorin lui observa qu’il y était allé de bien bon matin et que lui interrogé répartit qu’il n’y était point allé de trop grand matin, puisqu’elle était sur le point de partir pour aller voir sa fille« .

Notons au passage les activités de nos ancêtres: « ce jour là, il alla après son dîner à la maison du Châtellier, demeure de monsieur le juge de paix du canton et qu’il alla chez le nommé Guillaume Chenais, l’un de ses fermiers , jusque vers deux heures après minuit, parce qu’après avoir joué toute la journée au petit palet, il fut invité une fraise de veau, ce qui le retint la plus grande partie de la nuit« .

Ferré accuse alors Sorin d’avoir commis le vol et relate un échange entre Ferré et Sorin quelques jours plus tard: « Ne serais-ce pas toi qui aurais volé la bonne femme Lucas ? J’ai eu le malheur de te dire qu’elle allait s’absenter pour aller voir sa fille ; que Sorin s’approchant aussitôt de lui, lui dit à ce propos: tu as vu mon fusil ; il y a deux balles dedans, et si tu me vends, je te les passe au travers du corps ; il n’y a point de gendarmes capables de m’arrêter parce que je ne coucherai pas chez moi. Que trois jours après, ledit Sorin vint chez lui, environ l’heure de midi, et tirant de la doublure de son gilet un long couteau qui avait deux tranchants et qu’il lui dit être un poignard, et le lui présentant à sa poitrine de manière à l’effrayer, il lui répéta la menace qu’il lui avait faite« .

Une deuxième arrestation… plus mouvementée

Martin Sorin n’est donc pas arrêté en même temps qu’Armel Ferré. Il ne va réapparaître que quasiment un an plus tard en juin 1822 quand il se fait arrêté dans l’arrondissement de Paimboeuf avec un sac de grain dont il ne peut expliquer l’origine…
Il est alors emmené à Nantes par des gendarmes. Mais en passant à côté de l’étang de Briord, Sorin demande à ce qu’on lui retire ses menottes pour satisfaire un besoin pressant. Au moment de repartir, Sorin sort alors un couteau de sa poche et porte un coup à la poitrine du gendarme qui l’accompagnait. Ce dernier réussit à esquiver le coup mais Sorin s’échappe. Le gendarme est sur le point d’attraper Sorin quand il essaye de franchir un fossé mais Sorin donne alors un deuxième coup de couteau qui blesse le gendarme à la cuisse droite. Comme ce dernier perd beaucoup de sang, il est obligé d’abandonner la poursuite et de laisser Sorin s’échapper.
Le gendarme François Perdriau sera condamné à 6 jours de prison en tant que responsable de cette évasion…

Sorin disparaît alors pendant 2 ans et ce n’est que le 14 mars 1824 que des gendarmes vont cerner, à 3 heures du matin, la maison de Sorin à la Lézinière à Bouaye. A six heures du matin, ils frappent à la porte et demandent à la femme Sorin d’ouvrir. Au même instant, Martin Sorin sort par une porte donnant sur le jardin armé d’un fusil et met en joue un gendarme qui essayait de l’arrêter. Sorin ne peut lutter contre tous les gendarmes et finit par être arrêté.

Le procès

Le 8 avril 1824, Armel Ferré et Martin Sorin sont confrontés au palais du Bouffay. Chacun accuse l’autre du vol et dit que l’autre ment.

Le tribunal juge que « quant à Armel Ferré, que la procédure ne fournit point contre lui d’indices suffisants de complicité dans le vol commis au préjudice de la veuve Lucas« . Le juge de paix du canton de Bouaye, Monsieur Texier du Paty, fournira un certificat de civisme qui a visiblement penché en sa faveur.
Ainsi seul Martin Sorin sera jugé.

Les jurés débattent pendant 3/4 heure et doivent répondre à 3 questions:

  1. Martin Sorin est-il coupable d’avoir commis un vol la nuit dans une maison habitée et avec effraction extérieure ?
  2. ou en tout cas, est-il coupable de s’être rendu complice dudit vol pour avoir sciemment recelé tout ou partie des effets volés ?
  3. ledit Martin Sorin est-il coupable d’avoir donné un coup de couteau à un gendarme dans l’exercice légal de sa fonction et de lui avoir par cet acte de violence occasionné une blessure avec effusion de sang ?

Les jurés répondent oui « Martin Sorin est coupable avec toutes les circonstances » pour la première question et non pour la troisième question.
On peut être surpris que les jurés ne le jugent pas coupable du coup de couteau alors qu’il s’agit a priori du fait qui est le plus facile à établir. Ils se comportent comme si le témoignage du gendarme n’était pas crédible…

Comme Martin Sorin a déjà été condamné à un an de prison pour avoir volé quatre chemises en 1817 et qu’il a également été condamné à un an de prison en août 1824 (pour avoir volé une portoire, qui permet de transvaser les grappes de vins pendant les vendanges), il est donc condamné le 3 septembre 1824 à 15 ans de travaux forcés, à être exposé au carcan et à « rester pendant toute sa vie, après qu’il aura subit sa peine, sous la surveillance de la haute police de l’état« .

Ainsi, le 8 septembre 1824, il « a été attaché au carcan et publiquement exposé aux regards du peuple sur la place du Bouffay de cette dite ville de Nantes » entre 11 heures et midi. « Un écriteau portant en caractères gros et lisibles, ses noms, sa profession, son domicile, sa peine et la cause de sa condamnation est restée placée au dessus de sa tête« .

Sa peine sera visiblement plus courte que cela car on retrouve Martin Sorin au recensement de Bouaye en 1836 habitant la Lézinière avec sa femme. Il y sera présent jusqu’à son décès le 6 octobre 1843.
Armel Ferré restera quant à lui à la Barcalais jusqu’à son décès le 26 avril 1856.

Ceci est contradictoire avec les informations de l’association Galfor qui indique que Martin Sorin est resté au bagne de Brest du 4/2/1825 au 8/9/1839 (registre 2 O 26, matricule 16324) et Armel Ferré du 26/9/1824 au 8/9/1929 (registre 2 O 26, matricule 16253).
Le plus probable étant que les femmes Sorin et Ferré ont déclaré leurs maris présents aux différents recensements alors qu’ils étaient au bagne.

Ces registres du bagne de Brest décrivent très précisément les deux individus:
Martin Sorin est « cheveux châtain-clairs grisonnés ; sourcils châtains fournis ; barbe idem, mêlée de gris ; visage ovale ; teint un peu basané ; yeux gris, les paupières presque toujours en mouvement ; nez court et petit ; bouche grande rentrée ; menton rond et relevé ; front haut, ridé, y ayant une cicatrice au dessus du sourcil droit ; fortement marqué de petite vérole ; une cicatrice sur l’index de la main gauche« . Lors de sa libération, il devait aller habiter à Bourbon-Vendée (la Roche sur Yon).
Armel Ferré est « âgé de 40 ans, taille d’un mètre 630 mm, cheveux et sourcils bruns, barbe fournie, visage ovale large plein, légèrement marqué de petite vérole, teint brun, yeux gris, nez gros, bouche grande, menton rond, front haut ridé et découvert ayant une cicatrice côté droit, une forte ride entre les deux sourcils, une petite cicatrice sur le nez, un grain de petite vérole sur le côté droit, beaucoup de poils sur l’estomac« .