Justice de paix

Sur le site de la Bibliothèque Nationale de France, on trouve un livre intitulé « La Commune de Bouaye à M. le préfet et à MM. les membres du conseil général de la Loire-Inférieure« . Le 20 juillet 1855, Narcisse de Saint-Quentin, adjoint au maire de Bouaye et premier suppléant du juge de paix, adresse une lettre au préfet pour demander le maintien de la justice de paix du canton à Bouaye. En effet, les habitants de Rezé ont fait une demande pour déplacer le chef-lieu de canton dans leur commune. Une demande avait déjà été faite dans ce sens en 1855 mais elle avait été rejetée. Auparavant, c’est Bouguenais qui en 1852 avait demandé être chef-lieu de canton mais toujours sans succès.

Mr de Saint-Quentin s’étonne « qu’il nous est appris que la demande de translation du canton, émane d’une partie, et non pas de tous ses habitants, si l’expérience ne prouvait qu’il arrive souvent que l’intérêt personnel, levier puissant, sait habilement se couvrir du masque de l’intérêt général« . En effet, il note que « monsieur le Juge-de-Paix […] par suite de la tolérance qui lui permet de demeurer à Pont-Rousseau, c’est-à-dire à treize kilomètres de son prétoire. Le Conseil ne voit dans cette affaire que l’intérêt personnel de monsieur le Juge-de-Paix et nullement celui des justiciables« . Ceci explique le demande des « habitants » de Rezé…

Les archives de la justice de paix regorgent de pépites sur la vie de nos ancêtres. En voici quelques unes découvertes dans le canton de Bouaye.

Un procès en diffamation

En 1871, Jean Marie HOMERY, notaire à Bouaye, engage une procédure contre Eugène ALESSANDRI, percepteur à Bouaye et François LEJAY, maire de Bouaye. Selon HOMERY, ils ont répandu la rumeur que pendant qu’il était maire, HOMERY aurait modifié sur la copie de l’arrêté préfectoral le nom de son adjoint et donc produit un faux.

René RICHARDEAU, qui avait été nommé comme adjoint par HOMERY, témoigne avoir été à la préfecture pour vérifier que c’est bien lui et non LEJAY qui figure sur l’original signé par le préfet.
Ce ne sont pas moins de 11 témoins qui viennent témoigner dans cette affaire!

Les avocats d’ALESSANDRI et LEJAY font alors appel au tribunal de Nantes en plaidant l’incompétence du tribunal mais leur appel est rejeté. Après d’autres querelles de procédures, le jugement définitif constate qu’il y a bien eu des propos diffamatoires prononcés dans une auberge, à la mairie et dans le cabinet du percepteur. Que « par la nature des fonctions qu’exerce Homery, qui notaire depuis peu de temps pouvait, si sa moralité et sa probité n’avaient pas déjà été appréciées, perdre la confiance publique et être privé de sa clientèle ». ALESSANDRI et LEJAY sont alors condamnés à payer 2000 francs de dommages et intérêts ainsi que les frais de procédure.
Il est intéressant de noter que c’est vers cette époque que HOMERY va commencer à faire des faux et le conduire à son procès plusieurs années plus tard.

Une vie de chien…

On ne peut pas critiquer la justice d’expédier les affaires mineures: en effet, il aura fallu pas moins de 4 jugements au juge de paix de Bouaye pour statuer sur une affaire impliquant un chien!

Le 13 décembre 1886, Jean Marie HOMERY, notaire à Bouaye, est convoqué par le juge de paix de Bouaye suite à la demande de Julien BARDY, forgeron au Pont Béranger.
HOMERY a acheté en octobre un chien de chasse, un braque âgé de 2 ans, à BARDY pour 150 francs. Ce chien est expédié à Quimper chez le frère jumeau de HOMERY qui est directeur de l’asile de cette ville. Ce dernier se plaint immédiatement du fait que le chien est malade de la « maladie du rouge » comme l’a constaté un vétérinaire sur place. Le chien va donc reprendre la train pour revenir chez BARDY. Le témoin de la première audience indique alors qu’un deuxième vétérinaire a examiné le chien et n’a rien vu d’anormal.

Comme il n’est pas possible de conclure, un jugement contradictoire se tient le 24 décembre 1886. HOMERY plaide que l’action contre lui n’est pas recevable car il n’est que le mandataire de l’acheteur final. Le juge de paix indique qu’il n’y a pas de preuve que HOMERY ait indiqué clairement cela à BARDY et rejette donc l’exception d’irresponsabilité. Le fond de l’affaire peut donc être plaidé à une date ultérieure…

Le 11 février 1887, la justice de paix de Bouaye se réunit de nouveau sur cette affaire. Il écrit que « attendu qu’en l’état on ne saurait assimiler le Docteur Homery, directeur du plus important établissement hospitalier du Finistère et son frère, notaire très honorablement connu dans le canton de Bouaye, à des braconniers« . Cela laisse perplexe quand on connait ce qui attend HOMERY quelques mois plus tard!

Le jugement définitif aura lieu le 18 février 1887. Le juge de paix indique « que Mr Homery ne saurait en aucune manière se soustraire à l’exécution du marché qu’il a conclu« . Il condamne HOMERY à payer la somme principale de 150 francs et celle de 50 francs à titre de dommage et intérêts.
Donc après 4 mois et autant de jugements, le pauvre chien en a enfin fini avec les tracasseries judiciaires…

Des rancunes tenaces

Les rapports entre voisins peuvent être parfois compliqués mais les conflits durent rarement aussi longtemps que le cas suivant.

Le 27 décembre 1878, le juge de paix de Bouaye convoque François RICHARDEAU, tonnelier, et Joséphine MOSSARD, charcutière pour régler un conflit sur un droit de passage. RICHARDEAU indique qu’un partage a été fait le 23 juillet 1850 et qu’il convient de borner les terrains pour délimiter clairement les deux parcelles de terrain. Le juge de paix se déclare incompétent dans ce cas.

Le 4 décembre 1889, soit 11 ans plus tard, RICHARDEAU fait une demande au juge de paix car Joséphine MOSSARD a fermé le passage avec un portail fermant à clef.

Le 15 février 1892, le tribunal civil de 1ère instance de Nantes condamne RICHARDEAU à supprimer les clôtures qu’il a installé sur le passage dans les 15 jours suivants et à 1 franc par jour de retard.

Le 28 juin 1893, la cour d’appel de Rennes rejette l’appel de RICHARDEAU sur le jugement précédent.

Le 9 avril 1894, le tribunal civil de 1ère instance de Nantes déboute Joséphine MOSSARD qui accusait François RICHARDEAU de ne pas avoir laissé un passage suffisant suite au jugement précédent.

Le 12 août 1897, le juge de paix de Bouaye fait un plan des lieux, sans doute en espérant que cela permettra d’en finir avec cette histoire…

Peine perdue car le 17 janvier 1898 Joséphine MOSSARD fait à nouveau appel au tribunal civil de 1ère instance de Nantes pour que Henriette RICHARDEAU fasse élaguer la haie qui obstrue le passage.

Au total cette affaire aura occupé la justice pendant plus de 20 ans…