Homery

Homery, un notaire au destin singulier

Le notaire est un acteur privilégié pour les généalogistes car il est le témoin de la vie de nos ancêtres. Il reste la plus part du temps un acteur muet mais tel n’est pas le cas pour Jean Marie HOMERY, notaire à Bouaye au XIXe siècle, au vu de son destin si singulier.

Généalogie

Jean Marie HOMERY naît dans une famille de notaire. Son père, César-Auguste, est né à Ploubalay dans les Côtes d’Armor le 20 janvier 1810. Il a été notaire et maire de la commune de Pleslin avant de s’installer en Loire-Atlantique où on le retrouve juge de paix au Croisic entre 1867 et 1870.
Le frère de César-Auguste était lui-même notaire et à repris l’étude de son père, Charles Joseph, à Ploubalay. La génération de Jean Marie est donc au moins la 3ème à être notaire.

Un des frères de son grand-père se nomme Guy et était abbé. Il est célèbre pour avoir fondé la Congrégation des Filles de la Divine Providence de Créhen (22). Dans le livre « tel l’ajonc sous la neige… » qui retrace la vie de Guy Homery, la tradition indique que les Homery descendraient d’un clan O’ Merry en provenance d’Irlande. Ce livre décrit également la ferme familiale dans ces termes:
« Lorsque, par la route nationale qui mène de Quiberon à St-Malo, on pénètre sur le territoire de Ploubalay, à près d’un kilomètre du bourg, on découvre à main droite, un chemin vicinal. Ce devait être à l’époque, un petit chemin creux. En le parcourant, on arrive aux « Demennes », modeste ferme, aujourd’hui flanquée d’un nouveau corps de bâtiment. En explorant les lieux, on reconstitue assez aisément la vraie demeure des Homery de 1781 : simple maison de pierre, coiffée d’un toit de chaume. Comme la plupart des fermettes de l’époque, elle tourne le dos au chemin, et sa façade rêve, au soleil levant, sur un petit jardin. Au pignon, l’on voit encore la niche d’où la Vierge accueillait maternellement tous les hôtes de la maison. La grande pièce unique où souvent flambe un feu d’ajonc est meublée très sommairement. Les lits clos s’alignent le long des murs. Par un escalier rustique, on accède au grenier. Une porte latérale s’ouvre sur l’étable contiguë à la cuisine« .

Le père de Jean Marie se marie à Corseul, Côtes d’Armor, le 18 janvier 1841 avec Marie CHAS (ou CHAX). Ils auront 3 enfants:

  • Jean Marie né le 16 octobre 1841 à Pleslin (22),
  • César Auguste, son frère jumeau,
  • Gustave Napoléon Eugène né le 12 avril 1849 à Corseul (22).

Jean Marie a donc un frère jumeau, César, que l’on retrouvera plusieurs fois dans notre récit.

En 1866, la famille HOMERY est recensée au Croisic (44), rue des lauriers. On y trouve César (le père), sa femme Marie CHAS, Jean Marie noté comme avocat, César alors étudiant en médecine et Gustave, étudiant.
En 1872 et 1876, César (père) et sa femme sont toujours au Croisic mais ils ont déménagé rue Jean-Jacques Rousseau. En 1881, ils habitent à Clisson (44), grande rue de la trinité. César est mentionné comme juge de paix à Clisson entre 1878 et 1885.
Les 2 parents vont décéder à Bouaye en 1886 à quelques mois d’écart. Leur fils Jean Marie va acheter fin 1886 une concession à perpétuité de 4 m2 dans le cimetière de Bouaye mais ses parents vont être inhumés à Nantes au cimetière Miséricorde en 1918 en même temps que son frère jumeau.

On retrouve Jean Marie en 1866 au recensement de la commune de Bouaye en Loire-Atlantique. Il est alors étudiant en droit et il habite chez Narcisse de SAINT QUENTIN, notaire à Bouaye.
On notera au passage, que Me de SAINT QUENTIN emploie alors 2 enfants de la famille GUILBAUDEAU: Sainte (âgée de 20 ans) et François (âgé de 22 ans), un ancêtre direct (mon arrière arrière grand-père). En 1861, on trouvait comme domestique leur sœur Françoise ce qui fait que tous les enfants de cette famille ont été domestiques chez ce notaire!

Jean Marie va épouser en 1867 Adrienne de SAINT QUENTIN, fille de Narcisse.
Son frère jumeau César va lui épouser en 1870 Angèle de SAINT QUENTIN, sœur aînée de la précédente. Les frères jumeaux vont donc se marier avec 2 sœurs! Les 2 frères vont donc rester très proches pendant toute cette période.

Le contrat de mariage de Jean Marie est fait « sous le régime de la communauté réduite aux acquêts d’immeubles avec exclusion de dettes« . Il apporte 1000 francs alors que sa future femme apporte 2000 francs. Ensuite, les parents de Jean Marie font une donation en avance d’hoirie de 15000 francs. Les parents d’Adrienne de SAINT QUENTIN font la même chose pour 28000 francs. Au total le couple dispose de la confortable somme de 46000 francs.

La famille de Saint Quentin

Comme il est noté plus haut, les 2 frères jumeaux se marient avec les 2 sœurs de SAINT QUENTIN. Elles ont un frère, Aimé (qui se fait visiblement appeler Léon). Il est né le 2 juin 1845 à Bouaye. Il se marie le 16 octobre 1878 à Nantes avec Marie Charlotte GENEST.

Ils vont avoir une fille, Germaine Marie Charlotte, née le 30 septembre 1879 à Machecoul où Léon est notaire. Malheureusement, sa femme décède 12 jours après l’accouchement.

Léon élève donc seul sa fille. Il habite à Machecoul, rue du marché. Sa mère, Alodie BIGUER d’ORANGE, va habiter avec lui pour l’aider à élever sa fille au moins de 1881 jusqu’à sa mort en 1891. Léon et sa fille déménagent rue des Halles en 1891, avec son frère, Gabriel . Léon va ensuite habiter seul de 1896 à 1911 grande rue, toujours à Machecoul. Il exerce alors la profession de publiciste (c’est à dire qu’il est juriste spécialisé dans le droit public).

Sa fille Germaine (visiblement appelée Charlotte) va se marier le 12 septembre 1904 à Camoël (Morbihan) avec Paul LADMIRAULT , le célèbre compositeur Nantais. Léon va décéder en 1916 chez sa fille au manoir de Kerbily à Camoël. Léon est enterré à Nantes au cimetière de Miséricorde avec sa mère, sa femme, sa fille et Paule LADMIRAULT.

Un maire éphémère

En plus d’être notaire, Jean Marie HOMERY va également avoir la charge de juge de paix suppléant en 1876 ainsi que de maire en 1870.

Le 7 août 1870 ont lieu les élections municipales. 416 personnes sont inscrites sur la liste des électeurs. A 4 heures du soir, 223 bulletins sont dépouillés. A priori, Julien MOCQUARD est réélu maire.
Mais le 4 septembre 1870, le 2ème empire s’écroule suite à la défaite de Sedan. Le 26 octobre 1870, le préfet de Loire-inférieure nomme une commission provisoire chargée des fonctions municipales à Bouaye avec comme maire Jean Marie HOMERY.

Cette nomination a visiblement du mal à passer. Le nouveau maire se plaint qu’une « contestation s’est élevée dans la commune de Bouaye à propos des élections de la garde nationale du 27 novembre. […] Le lieutenant LEJAY froissé dans son amour propre attendit quinze jours pour réclamer contre cette élection et par des manœuvres que je ne veux pas qualifier obtint environ 50 signatures. Le conseil de préfecture jugea le 13 janvier, tout en maintenant l’élection, prononça des considérants outrageants pour moi« .

Ainsi le 22 janvier 1871, soit 3 mois après la nomination du nouveau maire, MOCQUARD démissionne à la fois de son poste de capitaine de la garde nationale et de son poste de membre de la commission municipale. Le 27 janvier 1871, HOMERY et son adjoint RICHARDEAU démissionnent à leur tour car « la discorde a été mise dans la commune par quelques individus qui ont trouvé près de l’administration un appui regrettable. Par ce fait la garde nationale est désorganisée. Nous avons accepté notre mandat dans un moment difficile, comptant sur le bon vouloir et l’aide de l’administration. Cette aide nous faisant défaut, nous nous retirons« .

Le 6 février, le préfet nomme LEJAY comme maire provisoire et de nouvelles élections sont organisées le 30 avril 1871. Sur 239 votants, LEJAY obtient 146 voix et HOMERY seulement 101 voix, soit la personne ayant reçu le moins de suffrages…
La discorde entre HOMERY et LEJAY va continuer dans les archives de la justice de paix.

La maison de Bouaye

Vers 1880, HOMERY fait construire une maison dans le bourg de Bouaye. Pour cela, il rachète le 14 octobre 1878 un jardin composé des deux parcelles D 31 et D 34 faisant une surface de 1 hectare et sur lesquelles sont construits deux pavillons. Ce terrain est important car il relie l’actuelle route de Nantes à la route de la gare. Il est acheté 6000 francs.

Les vendeurs sont sa belle-mère et les autres enfants de SAINT QUENTIN. Le couple de SAINT QUENTIN avait acheté ces terres à la famille de BIRE en 1849 chez Me BILLOT, notaire à Nantes. A cette époque, ce terrain est appelé le grand Chemin, aussi appelé les pièces de l’Allée et pièce à GUILBAUDEAU.

Chose curieuse, cet achat ne sera transcrit par les hypothèques de Nantes que le 16 août 1887. A cette date, les affaires de HOMERY ayant mal tournées comme on le verra plus bas, il est obligé de mettre sa maison en vente. On retrouve l’annonce de cette adjudication dans le journal l’Union Bretonne du 7 juillet 1887:

homery-adjudication-1887
Dans l’acte, la description est très précise: « une propriété entourée de murs, comprenant maison d’habitation en excellent état de 6 pièces au rez-de-chaussée, quatre pièces et quatre cabinets au premier étage, mansardes et greniers, caves, jardin anglais, jardin potager, pièce d’eau, pavillon, volailleries, serres, écurie, remise et hangar« .

Une pose de scellés dans la maison décrit plus précisément l’intérieur de la maison: « l’étude de Me Homery est au rez-de-chaussée dans la partie ouest de son habitation, son cabinet ouvrant sur un vestibule qui conduit aux autres appartements et éclairé par une seule fenêtre au nord ; que le cabinet de son clerc y est attenant avec porte ouvrant au couchant et une fenêtre également au nord« .

L’édition du Phare de la Loire du 27/5/1887 (page 1) nous apprend que « dans la grande salle de son étude, sur la cheminée, figurait un buste en bronze du comte de Chambord, avec la couronne de France et la lettre H sur le socle« .

Le 2ème lot de l’adjudication est acquit par Julien MOQUARD, boulanger à Bouaye pour 2300 francs. Le 3ème lot est acheté par François RICHARDEAU, tonnelier, pour 6100 francs. Sa fille étant mon arrière grand-mère, ces terres sont restées dans la famille et la maison de mes parents est construite à cet emplacement…

Par contre, personne n’a enchéri pour acheter la maison. Par conséquent, une deuxième vente aux enchères est faite le 7 avril 1888.

homery-adjudication-1888
La mise à prix a été baissée à 15000 francs. Mr Philippe SOURDILLE achète la maison pour 21700 francs, soit plus cher que la première adjudication.
Cette maison existe encore et est donc visible dans le bourg de Bouaye au 17 rue de Nantes.

Une arrestation mouvementée


En 1869, Narcisse de SAINT QUENTIN décède. Son gendre reprend alors son étude. Malheureusement ses affaires tournent mal. Dans une lettre du 25 avril 1887, un avoué de Nantes essaye d’éviter la faillite de HOMERY en lui demandant de régler les créanciers les plus virulents. Cette somme représentant plus de 15000 francs de l’époque, l’avoué conseille d’étudier « la valeur de votre immeuble, il pourrait y avoir là une marge suffisante pour calmer un mécontent. […] A mon sens, il vaudrait mieux après avoir paré au plus pressé, arrêter les termes d’un règlement général car il serait à craindre qu’en apprenant certains règlements, les autres en prennent prétexte pour de nouvelles exigences« . Il finit sa lettre par « courage, mon cher ami, vous subissez l’effet d’une crise générale qui peut atteindre tout le monde« .
Ne réussissant pas à régler ses dettes, l’étude d’HOMERY est mise en liquidation en mai 1887.

Suite à une plainte, le juge MOREL demande un mandat d’amener contre Jean Marie HOMERY, accusé d’abus de confiance qualifiée. Le 19 mai 1887, 3 gendarmes viennent de Nantes pour l’arrêter. Une domestique leur indique que Me HOMERY est parti la veille. Ils vont alors à la gendarmerie de Bouaye et le maréchal des logis leur dit qu’il a vu le notaire la veille au soir. Ils retournent donc à sa maison et parviennent à y rentrer et à rencontrer HOMERY. Le brigadier le fouille et trouve dans ses poches:

  • « 2 revolvers avec cartouches« 
  • « 2 flacons contenant l’un de la strychnine et l’autre de la digitaline » (2 poisons)
  • « 2 canifs« 
  • ainsi que divers objets.

Curieux attirail pour un notaire!

Le brigadier lit ensuite le mandat d’amener « dont il ne me laissa pas achever la lecture, prétendant savoir ce qu’il contenait« . HOMERY demande « de lui épargner le voyage par le train, qu’il avait une voiture et un cheval et qu’il conduirait lui même« . Il fait alors ses adieux à sa femme et à sa fille. Sa femme lui dit « fais-le mon ami, fais-le pour toi et pour ta famille« . Il répondit: « Je te le promets« . « Il se dirigea ainsi que nous vers la voiture dont il s’éloigna presque aussitôt, prétextant un léger besoin; l’agent Boisard qui était à sa droite aperçut quelque chose de volumineux dans la poche de son pantalon, il lui demanda ce qui s’y trouvait. Ce que j’ai, le voici, répondit M. HOMERY en sortant un revolver et le portant vivement à la hauteur de son front. Mais avant qu’il ait pu presser la détente, nous lui avions saisi le bras et élevé au-dessus de sa tête. Le coup partit en l’air. Lui abaissant alors le bras vers la terre le second coup partit pendant que je cherchais à lui arracher son arme dont je me rendis maître après une forte résistance. Et comme le sous-brigadier Sylvestre revenait à cet instant, on mit les menottes au prisonnier qui monta en voiture et resta calme pendant tout le trajet. Il a été écroué à la prison de Nantes à cinq heures et demi du soir. Un détail remarquable, c’est que les membres de la famille du notaire n’ont point paru au moment des coups de feu partis à dix mètres environ de la maison« .

Sa tentative de suicide a donc été bien préparée.

On retrouvera d’ailleurs sur lui une lettre d’adieu adressée à son frère jumeau dans laquelle il lui confie sa femme et sa fille. « J’aurais supporté vaillement la misère, mais je ne puis supporter contre moi une action publique qui rejaillirait sur vous qui êtes innocents, l’honneur de la famille avant tout, et je n’ai pas d’autre moyen de le sauver que celui que j’emploie« .
« Pardonne moi donc cher frère, je n’ai pas le courage de recommencer cette lettre d’adieu. […] Tu ne sauras jamais par quelles angoisses j’ai passé depuis un mois, remettant au lendemain à tout quitter et me cramponnant à toute lueur d’espoir. […] Si j’ai un adoucissement à mes derniers moments, c’est la pensée de reposer près de ceux qui nous ont tant aimés et qui sont morts à temps pour ne pas avoir à supporter ce dernier chagrin« .

Le journal l’Union Bretonne publie une description très détaillée de l’arrestation dans son édition du 20 et 21 mai 1887. Le nom de la personne arrêtée n’est pas révélé (Mr H.) mais le journaliste précise que son prénom est Jean-Marie, qu’il a 45 ans et qu’il est notaire… Le journaliste révèle également qu’Homery se serait fait remettre le pistolet avec lequel il a essayé de se suicider par sa femme au moment de leurs adieux. Ceci n’est sans doute que pure spéculation mais reste plausible car il est effectivement étrange que le pistolet n’ait pas été trouvé sur lui lors de la première fouille. L’article se conclue en disant que « cette arrestation a mis en émoi toute la population de Bouaye« .
Cette arrestation aura même un retentissement national car elle est également évoquée dans le journal le Figaro.

Le même journal publie un autre article le lendemain dans lequel il précise que « M. Homery avait donné, il y a quinze jours, sa démission de suppléant du juge de paix. Il exerçait une grande influence sur le parti républicain de son canton« . Cette dernière phrase peut sans doute s’expliquer par ses relations familiales comme on le verra plus bas.

Le 21 mai, un commissaire de police effectue une perquisition à Nantes chez l’agent d’affaire Edmond ANDAP. Il se rend également au pied à terre de HOMERY à Nantes situé au n°2 rue du Pré-Nian. Le beau-frère de HOMERY y habite avec sa mère et le notaire a installé un bureau à cet endroit. Plusieurs papiers seront saisis dans ces deux endroits.

Le 6 juin 1887, le tribunal civil de Nantes va destituer HOMERY de sa charge de notaire suite à son arrestation. Le jugement de cette destitution indique « que son état de déconfiture avait déjà nécessité l’intervention d’un liquidateur désigné par la chambre de discipline. […] Qu’il est démontré par le tribunal que le sieur Homery est indigne de continuer désormais ses fonctions de notaire« .

Le journal La Lanterne relate dans son édition du 30 décembre 1888 que « samedi a eu lieu la vente des objets non réclamés ayant servi de pièces à conviction depuis deux ans dans les procès criminels […] qui se sont déroulés à Nantes« . « A une heure de l’après-midi, quelques rares fripiers de Nantes se rangent devant la table dressée par le trompette de ville, dans le jardin du Palais-de-Justice, du côté de la maison d’arrêt. […] Puis vient la vente de huit revolvers, entr’autres celui qui avait été saisi sur l’ex-notaire Homery, lors de son arrestation à Bouaye, et qui, en fabrique, n’avait certainement pas dû coûter plus de 4 fr 50. Ils ont été adjugés à 6 fr« .

Le dossier d’instruction

Une fois arrêté, une longue instruction commence qui durera jusqu’au mois de février 1888. Le dossier occupe 2 cartons et est disponible aux archives départementales de Loire-Atlantique sous les côtes 5 U 212/1 et 5 U 212/2.

Le journal « La Lanterne » dans son édition du 2 février 1888 indique que « l’instruction de l’affaire du notaire Homery, de Bouaye, se poursuit avec une grande activité. Depuis une quinzaine, dit le Phare de la Loire, il ne se passe pas de jour que M. Morel n’entende de dix-huit à vingt témoins qu’il confronte ensuite avec l’inculpé. Nous avons vu M. Morel entrer à la prison à la tête des témoins; on eût dit qu’il conduisait un véritable bataillon. Etant donné l’état actuel de l’affaire, on peut dire qu’il est probable qu’elle sera soumise au jury à la session des assises de mars. Il y aura longtemps que le Jury de la Loire-Inférieure ne se sera prononcé sur une affaire d’aussi longue haleine. On en est aujourd’hui au 300e témoin et les questions qui seront posées au jury dépasseraient le chiffre de mille que nous n’en serions pas autrement surpris« .

Ce sont pas moins de 200 abus de confiance et 20 faux qui seront retenus contre lui!

Prenons par exemple le cas d’Auguste MASSON, meunier au moulin des Couëtis. En 1877, il emprunte avec sa femme 600 francs en l’étude de HOMERY, remboursable fin 1881. Ils consent une obligation hypothécaire de la même somme au profit de Joseph MERCIER. Début 1878, les époux MASSON contractent un deuxième emprunt de 600 francs au profit de Pierre VIGNET. Ils empruntent ensuite 200 francs et 300 francs en 1879.
En 1881, HOMERY regroupent tous ces emprunts en un seul pour la somme totale (avec de nombreux frais…) de 2121 francs. Ils doivent rembourser cette somme début 1885. Normalement, HOMERY aurait dû effacer les précédents emprunts mais il ne rembourse pas les 600 francs de Pierre VIGNET! Celui-ci va donc réclamer la somme aux époux MASSON…
Fin 1884, HOMERY se rend chez eux pour leur indiquer l’échéance prochaine de leur emprunt de 2000 francs. Les époux MASSON signent alors ce qu’ils croient être une prorogation, c’est à dire un délai supplémentaire pour rembourser. C’est en fait un autre emprunt de 2000 francs qu’ils signent! Ils se retrouvent donc avec 4600 francs d’emprunts!
L’expert va trouver dans le dossier MASSON un billet notarié qui est en fait un faux: le notaire en second n’a pas signé ce billet et la signature d’Auguste MASSON est une fausse signature! Le pauvre MASSON va être obligé suite à cela de vendre son moulin par adjudication…

Lors de l’interrogatoire final en février 1888, les faits sont séparés en 2 grandes catégories:

  • Des fonds reçus généralement d’un remboursement d’emprunt étaient censé être placés. En fait HOMERY réutilisait l’argent et payait uniquement les intérêts tous les ans pour faire croire que le placement avait été fait.
  • Des emprunts contractés pour rembourser une précédente obligation comme pour le cas de MASSON. Certains débiteurs payaient donc 2 voir 3 fois leur emprunt initial.

HOMERY nient les faits mais la lettre à son frère évoquée plus haut l’accable:
Il admet qu’il « a fait des fautes. J’ai disposé de fonds à des clients pour un emploi autre que celui que je devais en faire, sans me rendre compte qu’un jour ou l’autre, ils pourraient tous venir à la fois me demander le remboursement. J’ai remis toujours à plus tard une liquidation que j’aurais du faire il y a longtemps, bouchant un trou et en ouvrant un autre, mais je l’affirme sur l’honneur que je ne l’ai jamais fait pour prendre ce qui n’était pas à moi, comptant toujours régulariser la situation et ne faire qu’un emprunt, sans me rendre compte de l’abîme que je creusais« .
« Nous avons mené un train de maison plus fort que nous n’aurions dû le faire. La construction de la maison et les avances que je faisais à tout le monde, à la famille comme aux clients m’ont achevé. […] J’ai voulu me rattraper à la Bourse, là aussi j’ai perdu. J’ai résilié mes deux assurances sur la vie avec une perte considérable. […] Si j’avais pu vendre l’étude à temps, j’aurais pu payer les sommes qui pouvaient m’attirer des poursuites« .

Lors de l’interrogatoire, le juge dit que « la vérité est que depuis des années vous ne viviez que d’expédients et que toutes les sommes qui vous étaient remises étaient détournées de leur destination comme vous l’avez dit dans votre lettre à votre frère« .

On trouve également parmi les témoins une Jeanne BROCHET, tailleuse à Nantes qui affirme avoir connu HOMERY en 1884 dans l’immeuble où il avait une chambre. Il lui fit des avances et lui proposa de devenir sa maîtresse. Elle dit être restée avec lui pendant 4 mois. HOMERY lui payait sa chambre et sa pension. Après quelques mois, elle apprend qu’il est marié et rompt avec lui.
Elle connaissait également une autre femme qui avait été la maîtresse du notaire auparavant. Ceci explique sans doute son besoin d’argent…
Le journal « Le petit Nantais » dans son récit de l’audience du 4 mai 1888 indique que « Mlle Marie Morisseau a été domestique chez Mme Clouet ; elle a souvent vu Homery qui venait tous les samedi et quelque fois plus souvent. Il avait deux maîtresses pour lesquelles il dépensait beaucoup d’argent. […] Mr le procureur donne lecture de la déposition de Mlle Estelle Bouchet, il en résulte que l’accusé lui reprochait de n’être pas assez vicieuse pour lui« .

Le rapport de l’expert

Dans le dossier du procès, on trouve un rapport d’expertise « sur les faits et agissements du notaire Homery et sur les causes de sa déconfiture« .

Il commence par établir la situation de Me de SAINT QUENTIN à son décès. Il possédait une fortune considérable estimée à près de 380000 francs. Pour comparaison, un moulin valait de l’ordre de 3000 francs à cette époque.
Il avait convenu avant son décès que HOMERY reprendrait l’étude de son beau-père pour une somme de 60000 francs. En fait, il n’a jamais payé cette somme… Il s’était également engagé à payer 27000 francs de dot au mariage de son frère jumeau, somme qu’il n’a également jamais payé. Pourtant l’expert estime que HOMERY avait récupéré plus de 60000 francs au décès de son beau-père. Au passage, le receveur des hypothèques indique sur l’acte de succession de son beau-père que « cette déclaration faite ce dernier jour à la dernière heure au moyen de notes très incomplètes a dû être transcrite par le receveur (dont les observations n’ont pas été écoutées) telle que les parties la lui ont présentée, sauf rectification ultérieure, à la fin des débats engagés« .
Le tribunal civil de Nantes rend un avis le 13 juillet 1887 qui estime que l’office ne vaut plus que 30000 francs « considérant le discrédit dans lequel est tombé la charge d’Homery par suite de la destitution de son titulaire et plus encore par la gravité des faits qui lui sont reprochés et qui vont pour fort longtemps jeter un trouble sérieux et une grande perturbation dans la clientèle de cette étude« .

L’expert pointe également le fait que le notaire n’a tenu un livre de compte que pendant les 4 premiers mois de son notariat. Il avait uniquement un agenda dans lequel il notait, mais pas toujours, les sommes qu’il recevait ou qu’il payait. Il note qu’il « n’a jamais cherché à connaître sa situation. […] Quand un client venait demander son compte, il lui disait d’apporter ses reçus, il ne savait jamais ce que le client lui avait versé. […] On peut dire, sans crainte d’être démenti, que le notaire Homery n’a jamais eu d’ordre. D’après les renseignements qui m’ont été fournis, ses dépenses de maison étaient excessives et il dépensait beaucoup personnellement en dehors de sa maison. Il n’a jamais cherché à remédier à cet état des choses qui l’a conduit promptement à commettre des actes malhonnêtes« .

Ainsi, dès le 20 juin 1871, moins de 2 ans après la reprise de l’étude de son beau-père, il commet deux abus de confiance. Les premiers faux en écriture sont fait en 1876. Suit une longue liste de faux et abus de confiance. « Ayant continuellement besoin d’argent, il n’attendait pas que les clients vinssent le trouver, il se rendait chez ceux qu’il savait susceptibles d’avoir de l’argent, il leur disait qu’il avait un bon placement avec hypothèque et il se faisait remettre les fonds, il délivrait un reçu mentionnant que la somme était pour placer sur hypothèque et il ne la plaçait pas« .
L’expert détaille ensuite les différents moyens imaginés par HOMERY pour récupérer de l’argent. Il mentionne pas moins de 216 notes détaillant ces différents faits!

Il explique que « le notaire Homery a pu tromper aussi longtemps ses clients par la réputation d’honnêteté dont jouissait la famille de Saint Quentin à laquelle il était allié« . Il payait ainsi régulièrement les intérêts dû à ses clients. « Plus il allait, plus son déficit augmentait, de là ses nombreuses manœuvres pour faire face aux exigences de sa situation« . Ses clients avaient confiance car il « avait toujours un air placide, il est d’un caractère calme« . Sa maison d’habitation avec parc lui aurait coûté entre 30000 et 40000 francs. « En 1887, le notaire Homery avait fait tant de dupes, il avait commis tant de détournements qu’il ne lui fut plus possible de faire face aux nombreuses réclamations qui lui étaient adressées. La Chambre des Notaires s’émut de ces nombreuses réclamations, elle força le notaire Homery à s’expliquer et l’engagea à rendre son étude« .

Le 8 mai 1887, l’expert se rend à Bouaye pour procéder à la liquidation. Le premier jour ce ne sont pas moins de 72 réclamations s’élevant à plus de 100000 francs qui sont reçues! Et la liste s’allongeait de jour en jour…
Son frère jumeau César arriva à Bouaye et y resta plusieurs jours.

L’expert estime que le déficit se monte à plus de 760000 francs! Sur cette somme, plus de 450000 francs seraient imputables aux dépenses personnelles du notaire. « Il est prouvé que le dit notaire Homery avait une maîtresse à Nantes. N’en avait-il qu’une? Que lui coûtait cette ou ces maîtresses? Il a eu soin de ne pas conserver trace des sommes payées.
Ce qu’il y a de certain: c’est que le notaire Homery a manqué d’ordre dès le début de son notariat et qu’il s’est livré a des dépenses excessives; que ce manque d’ordre et ces dépenses excessives l’ont amené promptement à commettre des abus de confiance et des faux; que ces abus de confiance et faux qui se sont souvent renouvelés étaient prémédités.
Il est certain aussi qu’il est difficile de trouver des actes aussi mal faits que ceux émanant du notaire Homery, beaucoup sont incomplets, une grande partie sont nuls par le défaut de signature du notaire en second« .

Voici la liste des personnes victimes des abus de confiance et de faux.

Le procès

Le dossier d’instruction et en particulier le rapport de l’expert sont donc accablants pour HOMERY. Son procès commence fin avril 1888.

Le journal l’Union Bretonne du 28 avril 1888 donne le récit de l’audience du 26 avril. « M. le Président lit une lettre dans laquelle l’intention criminelle est, au contraire, parfaitement établie, en dépit des dénégations de l’accusé. Il voulait arriver à une vente fictive de ses biens afin d’enlever tout recours à ses créanciers. […] M. le Président rappelle les manifestations émouvantes qui ont eu lieu hier soir ; de malheureux témoins ont dû demander à ce qu’on pourvoie à leur subsistance, parce qu’ils se trouvaient à Nantes sans aucune ressource, n’ayant même pas de pain« .

Le 4 mai 1888, le XIXème siècle rapporte que « depuis deux jours défilent devant le jury de Nantes témoins sur témoins, il en a été cité 235, tous anciens clients d’un notaire de canton, Jean-Marie Homery, qui, sans parler des faits couverts par la prescription, est accusé d’avoir commis 20 faux et 204 abus de confiance.
C’est à Bouaye, à 15 kilomètres de Nantes, qu’exerçait si déplorablement pour sa clientèle ce surprenant officier ministériel. L’instruction de l’affaire a duré plus d’une année.
Jusqu’au dernier moment, il avait manoeuvré avec assez d’habileté pour donner le change sur sa véritable situation ;  […] C’est mon défaut d’ordre qui m’a perdu, a répondu le tabellion prévaricateur au président de la cour d’assises« .

Plusieurs édition du journal Le Phare de la Loire relatent en détail le procès. Ainsi dans l’édition 6 mai, l’article rapporte que « M. le président disait que pendant sa longue carrière, jamais il n’a vu de notaire aussi coupable« . Le procureur ajoute qu’en 20 ans « il n’a pas eu à requérir contre des faits aussi graves que ceux reprochés à Homery« . Il dit que « le jury devra être sans pitié« . Maître Giraudeau, l’avocat de la défense, indique « qu’en acceptant la défense d’Homery, il ne s’est pas dissimulé les difficultés de sa tâche« . « On s’est étonné que ce malheureux ne verse pas de larmes, affaibli qu’il est par une détention d’une année, rendu presque méconnaissable pour ceux qu’ils l’ont connu autrefois« .
Le 27 avril 1888, le journal relate les propos du président: « Vous avez trompé des vieillards qui avaient travaillé pendant 40 ou 50 ans pour amasser un petit pécule. Ces vetérans du travail, vous les aviez impitoyablement ruinés« . « Vous gagniez 8000 francs par an et vous en dépensiez 18 ou 20000 pour votre maison, sans parler des sommes beaucoup plus considérables que vous sacrifiiez à des plaisirs honteux« .
Dans l’édition du 5 mai, il est relaté un échange au sujet de ses maîtresses:
M. le président – Vous en aviez deux à la fois. (L’accusé pleure). Il est dit que nous n’aurons de vous aucun mot de vérité. Les larmes viennent difficilement.
L’accusé – J’en ai beaucoup versé depuis quelques jours.
M. le procureur de la République – Vous auriez dû faire le compte de celles que vous avez fait verser.

Le journal Gil Blas, dans son édition du 8 mai, indique que « se sont terminés devant la cour d’assises les débats de l’affaire Homery commencés le 25 avril et qui ont durés dix longues audiences« . Le jury « est entré dans la salle des délibérations à une heure et demie et en est sorti à sept heures« .

Dans l’édition du 7 mai de l’Union Bretonne, on peut lire « Mr le président donne lecture des questions, au nombre de 522, soumises au jury, lecture qui n’a pas duré moins d’une heure et demie. Après dix jours d’audience et une délibération qui a duré cinq heures et quart, étant donné le nombre de questions qui lui était soumises, le jury rapporte un verdict reconnaissant Homery coupable de 200 abus de confiance, avec la circonstance que l’accusé avait reçu l’argent comme notaire. Le jury déclare aussi Homery coupable de dix-neuf faux en écriture authentique et publique et d’usage de ces faux.
Le verdict est muet sur les circonstances atténuantes.

En conséquence du verdict du jury, la cour condamne Homery à la peine des travaux forcés à perpétuité« .

On peut imaginer le choc pour Jean Marie qui passe du statut de notable à celui de bagnard!

Son dossier de grâce permet de comprendre un peu plus le contexte de son procès. Un de ses amis nommé Sébillot, chef du personnel et du secrétariat du cabinet du ministre des travaux publics, précise qu’il « s’est trouvé à passer devant le jury de la Loire-Inférieure au moment où plusieurs autres notaires avaient trompé leurs clients ; il a été jugé le premier et condamné à la peine la plus grave« .

De même, le parquet de Nantes indique que « le sieur Homery a eu devant le jury une attitude qui était de nature à indisposer contre lui. Il discutait les faits les plus évidents avec une mauvaise foi qui permettait de juger de son hypocrisie habituelle« .

Perpétuité?

Grâce au fil d’Ariane, j’ai pu récupérer le dossier de bagnard de Jean Marie HOMERY et ainsi découvrir de nouveaux renseignements.

La première chose est qu’il y a eu une demande de pourvoi afin de faire modifier le jugement. Cette demande est basée uniquement sur des aspects procéduraux et non sur le fond de l’affaire. Le pourvoi est rejeté le 28 juin 1888.

Le 15 septembre 1889, HOMERY est embarqué sur le Ville de Saint-Nazaire à destination de la Nouvelle Calédonie. Ce même bateau servira le 22 février 1895 pour envoyer le capitaine Dreyfus en Guyane. Le parcours du bateau est le suivant:

Lieu d’arrivée Date d’arrivée Date de départ
Alger (Algérie) 21 septembre 1889 22 septembre 1889
Port Saïd (Egypte) 29 septembre 1889 29 septembre 1889
Colombo (Sri Lanka) 16 octobre 1889 16 octobre 1889
Nouméa (Nouvelle-Calédonie) 12 novembre 1889 13 novembre 1889
L’île des Pins (Nouvelle-Calédonie) 13 novembre 1889

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Le bateau repartira le 15 novembre via Pondichery pour revenir à Saint-Nazaire le 6 mars 1890 soit un voyage d’environ 6 mois aller-retour. On peut estimer la distance parcourue à plus de 32000 kms.
Lors du voyage aller, 5 prisonniers vont décéder (dont 1 femme) ainsi que 2 surveillants.

Son dossier de bagnard indique que sa conduite est jugée bonne et qu’il a appris pendant sa détention à confectionner des sacs en papier. Il a été puni en tout de 12 nuits de prison pour mauvaise volonté au travail et infraction.

Voici un lien pour avoir une idée de la vie d’un bagnard à cette époque. Le livre « l’archipel des forçats » disponible en ligne évoque également les conditions du voyage jusqu’en Nouvelle Calédonie.

Sa famille va demander régulièrement des demandes de réductions de peine. Ainsi, dès 1890 une première demande est rejetée car considérée comme prématurée. Sa peine à perpétuité est commuée à 15 ans de travaux forcés par décision présidentielle du 18 février 1896! Ensuite, il obtient une remise de peine de 2 ans en 1900 et une autre de 3 ans en 1904. Deux autres demandes sont rejetées en 1898 et en 1901.
HOMERY a été libéré en 1906 si bien qu’il n’a fait « que » 17 ans de bagne.

Une fois libre, il est obligé de rester en Nouvelle-Calédonie. Sa famille va donc essayer d’obtenir une remise de l’obligation de résidence aux colonies pour qu’il puisse revenir en métropole. Le maire de Nantes, Gabriel Guist’hau, écrit que Jean Marie Homery « désirerait venir mourir auprès de ses enfants dont l’un est Mademoiselle Homery professeur au petit lycée de Nantes. Je vous avoue qu’il me serait personnellement agréable de récompenser ces enfants de l’effort qu’ils ont fait pour faire leur chemin dans la vie, et pour aider à rendre plus douce la vieillesse d’un père véritablement repentant et victime des circonstances. […] Si vous pouviez télégraphier pour ménager à tous ces malheureux un premier de l’an qui constiturait de véritables étrennes« .

La cour d’appel de Rennes indique début septembre 1909 les renseignements suivants: « cette affaire causa à l’époque une grande émotion dans la région car les agissements d’Homery entrainèrent des pertes importantes. […] Néanmoins, il me parait avoir aujourd’hui subi l’expiation de ses lourdes fautes et je crois qu’il serait humain, vu son âge (68 ans) de lui permettre de rentrer en France. […] Ses parents sont disposés à l’accueillir. Sa femme et sa fille souhaitent ardemment son retour et ont pris toutes leurs dispositions pour qu’il puisse être placé dans un asile à Paris ou à Plessé. […] Mon substitut de Nantes a pris soin de spécifier à la famille qui partageait d’ailleurs cette manière de voir que le condamné ne serait en aucun cas et sous aucun prétexte, placé à Nantes où sa présence pourrait être remarquée et critiquée« .

Sur son arrêt de condamnation, une note indique que « par décision en date du 19 de ce mois (septembre 1909) Mr le Président de la République a accordé la remise de l’obligation de résidence aux colonies résultant de la peine de travaux forcés à perpétuité prononcée contre HOMERY Jean« . A partir de ce moment, il a donc été libre de revenir en métropole et on peut effectivement le trouver à Plessé sur le recensement de 1911 dans une maison de retraite au village de la Godin. Il décède à l’hôpital de Plessé le 26 juin 1919 à l’âge de 77 ans.

Voici plusieurs documents de son dossier de grâce:

Une tradition familiale?

On peut aisément imaginer l’impact que ce scandale a pu avoir dans la commune ainsi que sur la famille de sa femme, les de SAINT QUENTIN. Cependant Jean Marie n’est pas le seul à avoir sali le nom de la famille.
En effet, son oncle, Napoléon Pierre, a eu aussi à subir le même genre de problèmes judiciaires.

Il est né le 15 août 1806 à Ploubalay. Sa vie est bien remplie car il est notaire à Ploubalay, où il a repris l’étude de son père, ainsi que maire de la commune, conseiller général, suppléant du juge de paix et décoré de la légion d’honneur!

Le journal national « La Presse » publie un article le 19 mai 1889 dans lequel elle indique que Napoléon Pierre HOMERY « n’a pas moins de 23 condamnations pour faux à son actif. A plusieurs reprises les représentants des assemblées départementales ont tenté d’expurger cet inqualifiable magistrat ; ils se sont heurtés à la haute protection qui couvre le conseiller général faussaire« . Visiblement, le conseil général des Côtes-du-Nord a réussi à l’expulser en invoquant un article du règlement qui permet de déclarer démissionnaire un membre qui manque un certain nombre de séances.

Le lendemain, le même journal publie un autre article dans lequel il revient sur l’affaire. Le 14 juillet 1880 HOMERY est fait chevalier de Légion d’honneur. « Du 6 novembre 1880 au 2 janvier 1881, six jugements sont rendus qui constatent » le même genre de faux que ceux qui seront reprochés plus tard à son neveu Jean Marie. « Le procureur de la République assiste à l’audience où Homery avait tout avoué, et le procureur de la République déclare que ce sont là des oublis regrettables, fâcheux. Or, ces prétendus oublis se sont reproduits pendant deux ans. […] Le parquet ne poursuit pas. […] Il peut continuer ainsi à commettre des faux, des vols, des escroqueries que 23 jugements signalent« . Il va bénéficier pendant encore plusieurs années de la protection de gens bien placés. En particulier, il est le cousin par alliance d’Yves GUYOT, ministre des travaux publics.

Mais suite à l’interpellation d’un député à la chambre des députés (vues 3 à 9) et de ces articles de journaux, le garde des sceaux demande la radiation de Napoléon HOMERY des cadres de la Légion d’honneur. On peut trouver trace de cette radiation dans son dossier de la Légion d’honneur (taper HOMERY dans le champ « rechercher un patronyme » et cliquez sur le bouton en fin de ligne). Il semblerait que ses ennuis judiciaires l’ont enfin rattrapé à partir de ce moment là.

Ainsi le journal La Lanterne publie dans son édition du 10 août 1888 un article que Napoléon Pierre HOMERY « cité à comparaître le 23 juin dernier devant le tribunal de Dinan, jugeant commercialement, pour s’entendre déclaré en faillite à la requête de plusieurs créanciers, a depuis longtemps suspendu ses paiements. Sa situation financière est désastreuse pour les trop nombreuses victimes de ce malheureux. […] La situation de l’ex-notaire est un véritable désastre pour le canton de Ploubalay« .
En somme, bien des similitudes avec son neveu…

De l’inconvénient d’avoir un jumeau…

Mais revenons à Jean Marie ou plus exactement à son jumeau, César. Si l’on recherche sur le site des archives départementales des Côtes d’Armor, on trouve bien évidement les actes de naissances des 2 jumeaux le 16 octobre 1841 à Pleslin. Mais si on continue la lecture de l’état civil on tombe alors sur une bien curieuse note qui a été judicieusement numérisée en même temps que les actes de naissances.

On y lit que le 3 juin 1904, César a écrit à la mairie de Pleslin une lettre dans laquelle il se plaint que le Préfet du Cher lui demande son casier judiciaire! Il écrit qu’il « espère que l’erreur commise l’année dernière ne se renouvellera pas […] et de vous dire combien il m’avait été désagréable et pénible d’avoir été exposé à la révélation d’un fait inconnu » à Pleslin. « Cette similitude de nom et d’âge pourrait encore dans le cas ou vous seriez absent tromper l’un de vos employés« . César signe en tant que directeur médecin en chef de l’asile des aliénés Le Beauregard près de Bourges.

On comprend donc que la nouvelle de la condamnation de Jean Marie HOMERY a été malencontreusement divulguée dans sa commune de naissance, ce qui n’aura pas manquer de créer un scandale supplémentaire après celui de Napoléon HOMERY. De plus, César a été confondu avec son frère jumeau et a donc sans doute eu du mal à lever l’ambiguïté…

Au passage, César aura pas moins de 8 enfants qui sont nés dans les villes où sa profession de médecin l’a emmené: Evreux (27) en 1876, Saint-Alban (48) de 1877 à 1879 (décrit par Paul Eluard dans son poème « Le cimetière des fous« ), Saint-Dizier (52) en 1883, Quimper (29) de 1885 à 1896 et Bourges (18) de 1898 à 1906. César a été plusieurs fois directeur de l’asile d’aliéné de ces différentes villes. Il décédera en 1918 à Cadillac (33). Cela n’est sans doute pas un hasard car la commune de Cadillac est connue pour son asile d’aliéné. C’est sans aucun doute lui qui rédige le rapport médical pour 1916 de cet asile ce qui laisserait à penser qu’il continuait à y avoir une activité malgré son âge (75 ans).

Une fiche à son nom est visible dans la base Medic qui recense les médecins de l’ouest de la France.

On retrouve la trace de son activité de médecin à plusieurs reprises dans les journaux de l’époque.
Tout d’abord dans l’édition du Figaro du 3 mars 1867, César Homery, alors étudiant à l’école préparatoire de médecine et de pharmacie de Nantes, est cité parmi les étudiants récompensés pour le « dévouement qu’ils ont montré pendant la dernière épidémie cholérique« . Il se verra pour cela remboursé de ses frais de scolarité jusqu’à la fin de ces études. Il avait été nommé en 1865 préparateur des cours d’histoire naturelle. Il est alors élève en 3ème année, externe à l’hôtel Dieu à Nantes et interne aux hospices civils de Nantes au quartier des aliénés de l’Hospice Général. Il a été recommandé comme préparateur en indiquant que « c’est un jeune homme laborieux, exact, d’un excellent caractère et du meilleur esprit » (Archives nationales côte F/17/20958). Son dossier d’admission en tant que médecin nous permet de savoir qu’il a échoué deux fois à son examen sur la médecine opératoire et qu’il a obtenu sa thèse le 20 juillet 1868 portant sur les hydropisies scarlatineuses avec la mention satisfaisant (Archives nationales côte AJ/16/6811).
Ensuite, dans le journal Gil Blas du 20 septembre 1907, un article intitulé « une scène de sauvagerie » raconte qu’un interné à l’asile de Beauregard, près de Bourges, s’est bagarré avec un de ses voisins. Les gardiens l’emmenèrent dans une cellule et deux d’entre eux « le frappèrent à coup de sabot et de soulier et, lui brisant deux côtes, le laissèrent plus mort que vif. Le docteur Homery, directeur de l’asile de Beauregard, fit aussitôt transporter le malheureux fou à l’infirmerie, où il lui prodigua des soins et s’empressa d’informer le parquet de Bourges, qui donna l’ordre d’arrêter les deux gardiens« .

De même, dans le Petit Parisien du 11 décembre 1908, on apprend qu’à Bourges le « docteur Homery a procédé cet après-midi à l’autopsie d’un garçon nommé Désiré, qui est mort hier d’une façon mystérieuse ; le rapport du praticien ayant conclu à un décès provoqué par un coup violent, une enquête a été ouverte« .

La revue de psychiatrie d’août 1910 indique le nom de son remplaçant suite à son départ en retraite.

Enfin, dans La Lanterne du 9 novembre 1892, on trouve l’article suivant page 2: « Le choléra vient de faire son apparition à l’asile des aliénés de Quimper. Ces jours derniers, un aliéné tombait malade ; le directeur de l’asile, M. Homery, ne tarda pas à reconnaître tous les symptômes caractéristiques du choléra. Le lendemain, le malade succombait, et un autre cas se produisait. […] Mardi dernier, un second décès se produisit. Disons qu’il n’y en a pas eu d’autres depuis. Toutes les mesures de préservation susceptibles d’être prises ont été, dès le début de la maladie, ordonnées par le préfet« .

Les conséquences sur sa famille

Plus encore que son frère jumeau, la femme et la fille de Jean Marie ont dû payer le prix de sa condamnation.

Le 10 avril 1888, le tribunal civil de première instance de Nantes prononce la séparation de biens entre les époux Homery. Adrienne de SAINT QUENTIN récupère à cette occasion 30000 francs mais, ayant à rembourser un prêt datant de 1884, elle ne touchera finalement que 4000 francs.

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Après avoir été obligée de vendre leur maison, elle quitte Bouaye avec sa fille et habite entre 1887 et 1888 chez son beau-frère, marié à sa sœur, à Quimper. On la retrouve fin 1888 avec sa fille au n° 2 rue du pré Nian à Nantes, sans doute avec sa mère et son frère, puis à partir de 1891 au 9 passage Saint Anne et enfin à partir de 1901 au n° 11 de la rue de Rennes, toujours à Nantes.
Adrienne y décède le 10 mai 1920 à l’âge de 76 ans. Le contenu de la succession indique qu’elles vivaient avec peu de biens:

Un lit usagé en noyer comprenant un sommier, un matelas, un traversin, une paire de draps et une couverture 250 francs
Un vieux fauteuil usagé 20 francs
Une chaise basse 8 francs
Une petite table 25 francs
Un lot de vêtements usagés 15 francs
Un lot de linge de corps 10 francs
Une garniture de toilette, cuvette en fer 6 francs
TOTAL 334 francs

Adrienne est inhumée au cimetière de Miséricorde à Nantes dans le caveau de ses beaux-parents où est également inhumé son beau-frère César ainsi que plusieurs membres de la famille de César.

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Marthe, sa fille

Sa fille Marthe est institutrice puis professeur au Lycée de garçons. Elle avait obtenu son brevet de capacité pour l’enseignement primaire en 1885. Elle est recalée lors de la première session de cette année là avec un « nul » en dictée. Elle aura plus de chance lors de la deuxième session où elle sera admise. Elle obtiendra « passable » pour les épreuves écrites de « composition française », « d’arithmétique et système métrique » ainsi que pour l’écriture et un « mal » pour la dictée. Pour les épreuves orales, elle aura un « passable » pour les épreuves de « lecture avec questions sur le sens des mots », « d’analyse d’une phrase au tableau », de « calcul et système métrique » et « d’instruction morale et civique » avec un « mal » en histoire-géographie. Ainsi sur 68 candidates, 35 seront admises à l’oral et 33 auront leur brevet.

Elle va rester célibataire et elle continue à habiter au 11 rue de Rennes à Nantes, au moins jusqu’en 1926. En 1926, il est indiqué qu’elle est retraitée. Le journal officiel de la république française du 26 juin 1925 indique qu’elle reçoit une pension de 5286 francs à partir du 1er octobre 1924 après 26 ans et 4 mois de services.
Elle décède le 7 janvier 1955 à Solesmes (72). Notons qu’une de ses cousines, Jeanne Germaine Yvonne fille de César HOMERY, habite également à Solesmes ce qui laisse penser que la famille possède une maison là-bas.

Il s’agit sans doute de la même Marthe HOMERY qui présente une conférence « captivante » sur « la culture féminine à travers les âges » qui sera décrite dans le journal Ouest-Eclair du 13 septembre 1932.
Dans le même journal, un article du 21 novembre 1920 rend compte de la conférence donnée par Mlle HOMERY qui s’intitule « Petit traité d’économie domestique ou l’art d’être heureuse en faisant le bonheur des autres« . Le prénom n’est pas précisé mais l’auteur de l’article indique que « Mlle Homery nous instruit de ce que l’on peut attendre de son âme meurtrie, à jamais endeuillée. C’est cette femme incurablement triste qui va nous parler du bonheur« . On peut y voir une allusion au sort de son père ainsi qu’au décès de sa mère quelques mois auparavant.

Marthe HOMERY va côtoyer Joseph Malègue, l’auteur du roman « Augustin ou le Maître est là » que certains considérait comme le chef-d’œuvre du roman catholique. Quelques mois après la mort de ce dernier, Marthe va donner une conférence intitulée « Hommage à Joseph Malègue » qui sera édité en livre. Elle sera également citée dans le livre de Jean Lebrec: « Joseph Malègue, romancier et penseur ». De ces deux livres, nous pouvons apprendre beaucoup de choses sur la vie de Marthe.

« En décembre 1922, [Joseph Malègue] s’était laissé introduire par une enseignante de Savenay, Mlle Desmas, dans le Cercle des Universitaires catholiques de Nantes, le Cercle Saint-Augustin, fondé en 1919 par Mlle Marthe Homery, professeur au petit lycée de garçons« .

Dans sa conférence, Marthe indique « que je désigne M. Malègue par le possessif notre ami […] car M. Malègue fut l’ami fidèle du Cercle Saint-Augustin. Né en 1919, ce cercle, notre pauvre cercle, ne prit une véritable vie qu’en 1922, lorsque […] le Père Justinien en assuma la direction spirituelle que nous réclamions depuis trois ans. […] L’esprit du Cercle, avant tout esprit de piété, et aussi esprit de très douce fraternité, lui plaisait« .

Nous découvrons également avec précision la vie du Cercle. « De telles conférences avaient lieu à l’occasion de réunions, le deuxième et quatrième dimanche de chaque mois, et qui se déroulaient ainsi: messe avec instruction chez les Franciscains de la chapelle de Conclaux; causerie assurée tour à tour par les membres du cercle, dans les locaux du Tiers-Ordre de Saint-François; déjeuner dans la famille de Mlle Bréhier qui, agrégée d’anglais, enseignait au lycée de jeunes filles. Le père Justinien, qui fut l’animateur spirituel du cercle de 1922 à 1928, assurait l’après-midi une conférence religieuse, suivie d’un échange de points de vue« .

Joseph Malègue donnera plusieurs conférences au Cercle Saint-Augustin dont « la spiritualité de saint Bonaventure« , « l’art et l’évolution de Fra Angelico« , « le christianisme social et la pratique économique » et une conférence sur « l’état social et économique de la Russie« .

Marthe Homery fut même à l’origine du mariage de Malègue. « Mlle Homery connaissait, depuis 1915, une doctoresse fort réputée de Nantes, la doctoresse Yvonne Pouzin. […] La doctoresse souffrait pourtant aux approches de la quarantaine d’une certaine solitude du cœur. Elle en avait fait la confidence à Mlle Homery. […] Mlle Homery présenta l’un à l’autre Yvonne Pouzin et Joseph Malègue. […] Le 28 août 1923, ils s’épousaient en l’église Notre-Dame de Bon-Port, à Nantes« .

Dans son hommage, Marthe Homery fait une analyse érudite de l’œuvre de Joseph Malègue et de son rapport à la foi. Elle se laisse aller une seule fois à des confidences sur elle-même quand elle dit « Je ne puis m’empêcher de signaler cette harmonieuse notation d’un état d’âme d’enfant. Mais peut-être faut-il avoir passé son enfance à la campagne pour sentir combien elle est juste« .